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Fin de vie : tribune de Mgr Jordy

Tribune de Mgr Vincent Jordy :
«L’euthanasie, ultime avatar de la décivilisation»

 

TRIBUNE – Alors qu’une ébauche du projet de loi sur l’aide active à mourir vient d’être rendue publique, le vice-président de la Conférence des évêques de France s’inquiète du bouleversement que celle-ci représenterait pour notre civilisation.

 

Alea jacta est. Un préprojet sur la fin de vie1 arrive. « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry. L’avenir et la vie des civilisations se jouent-ils à coups de dés ?

Depuis une décennie, les analystes égrènent la litanie des « dé » : Décomposition, dé-classement, dé-possession, dé-liaison jusqu’à la « décivilisation » récemment évoquée pour parler de la société française. « La civilisation, c’est l’inhibition de la pulsion », disait un philosophe français. C’est ordonner ce qui bouillonne en nous, pour permettre une vie en commun. C’est
ajuster notre désir et notre irascible à un projet qui nous dépasse vers un bien commun. Il s’agit de faire « d’un tas un tout » (Régis Debray, L’Erreur de calcul). Déciviliser, c’est, au  contraire défaire « ce qui noue le nous ».

La question complexe de la fin de vie est posée. Nul n’est épargné par ce grave sujet. Il concerne nos proches mais aussi chacun de nous, marqués par la finitude. Personne ne désire voir souffrir ceux qu’il aime ou être aux prises avec une souffrance insupportable conduisant à la mort.

L’actuel accompagnement de la fin de vie est assuré par la loi Claeys-Léonetti de 2016. Une réflexion pour la faire évoluer a été lancée à l’automne, sans que la précédente ait bénéficié d’une sérieuse évaluation en amont. À l’automne 2022, la ministre déléguée à la Santé assurait pourtant de l’équité du processus et que tous seraient entendus.

Depuis, nous sommes saisis par le doute. Des annonces et une méthodologie discutables ont donné le sentiment que les « dés » étaient « pipés » sinon « jetés ». Une opération de « démocratie éducative », instillant progressivement les bonnes réponses, a été entreprise avec un fort soutien médiatique. Le président de l’institution chargée des débats se déclare favorable à l’euthanasie avant même qu’ils ne commencent. Certains médias font état des carences du processus démocratique. Pourtant beaucoup se sont élevés contre ce projet de fin de vie, particulièrement les soignants qui seraient en première ligne en cas de vote d’une loi sur l’euthanasie ou sur le suicide assisté. Surdité de ceux qui conduisent la réflexion ?

Peut-on jouer avec la vie sans risquer de perdre toute mémoire et d’oublier, tout simplement, d’être humain ?

Une telle loi serait un bouleversement pour notre civilisation fondé sur un principe fondateur : « Tu ne tueras point. » Une « rupture de digue » dont les effets ne sont pas prévisibles. Pour nous rassurer, on invoque la notion de progrès. Nous savons, à la lumière de certains scandales sanitaires et financiers, ce que peut produire l’imprévision, voire le cynisme humain au nom
du progrès. Nous savons aussi tout le bien que produisent l’accompagnement et les soins palliatifs dont, pourtant, les carences sont importantes en France malgré quatre lois en vingt ans.

Norbert Elias, cité par le président de la République à propos de la « décivilisation » de notre pays, évoque la question de la mort dans La Solitude des mourants. Il rappelle comment son traitement participe du processus de civilisation. Les pays déjà engagés en faveur de l’euthanasie montrent que les limites posées pour maîtriser la fuite en avant n’ont pas tenu longtemps, que les contrôles sont largement insuffisants, que l’alliance indispensable entre malade et soignant est affectée et qu’insidieusement une forme de culpabilisation s’insinue dans les consciences des plus fragiles et affecte la fraternité.

François Mitterrand l’évoquait avec Marie de Hennezel : « Je suis, bien sûr, pour que l’on aide à mourir, mais le jour où une loi donnera à un médecin le droit d’abréger la vie, nous entrerons dans une forme de barbarie, parce que vous serez très nombreux, très vieux… On fera pression sur des personnes âgées pour qu’elles aient l’élégance de demander la mort et ne pas peser. » Le risque de pousser les précaires « vers la sortie » n’est pas une vue de l’esprit. L’être humain, variable d’ajustement des budgets pour le meilleur des mondes ? Thanatos comme allié du Forum de Davos ?

Alea jacta est ? « On ne joue pas avec la vie », disait le pape François au retour de son voyage à Marseille. Il ajoutait : « La personne âgée est la mémoire de la
civilisation. » Peut-on jouer avec la vie sans risquer de perdre toute mémoire et d’oublier, tout simplement, d’être humain ?

Source : Le Figaro

 

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